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Loi Kasbarian-Bergé : Motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité

Loi #antisquat#kasbarian

➡️ Motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité présenté au nom du groupe Ecologiste – Solidarité et Territoires

« Certaines lois marquent une époque du sceau de la grandeur ou de l’abandon ». Cette phrase que j’emprunte à une tribune publiée par Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité, pour nous alerter sur les conséquences de la loi qui nous est présentée.

L’abandon, chers collègues, est celui de la solidarité. Ce texte se trompe de cible selon Pascal Brice. C’est également ce qu’écrit Christophe Robert, le délégué général de la Fondation Abbé Pierre, dans un courrier adressé il y a quelques jours à Gérard Larcher, le président du Sénat.

Ce sont les causes du mal-logement qu’il faut combattre, et non ceux qui en sont victimes. C’est une arme atomique, qui ne va pas résoudre le problème visé, mais qui va créer des dégâts collatéraux dont toute la société française subira les conséquences.

Cet abandon de la solidarité est camouflé de manière plus ou moins habile, mais en tout cas avec une grande violence, derrière l’érection du droit de propriété en valeur absolue.

Afin d’éviter tout raccourci dans lequel certains souhaitent parfois nous enfermer, je vais le dire d’emblée et sans ambages : nous ne remettons pas en cause le droit de propriété ni sa portée constitutionnelle.

La propriété locative doit être et est protégée, d’autant qu’on peut, comme nous le voyons dans nos communes populaires, être propriétaire et fragilisé par l’âge, la santé ou le niveau de revenus.

Dans nos rangs, nous savons aussi que les principes constitutionnels doivent se concilier de manière équilibrée, à l’inverse de ce texte, qui, tel qu’il a été voté par l’Assemblée nationale, ne recherche pas cet équilibre.

C’est donc à nous, dans cet hémicycle, de faire le travail qui a été commencé par les rapporteurs. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 19 janvier 1995 a élevé au rang d’objectif de valeur constitutionnelle la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent. Le présent texte, bien que modifié par notre commission pour éviter les amalgames iniques entre protection de la propriété et protection des domiciles, est un danger. C’est une fausse solution inefficace et antisociale. Il s’agit d’une criminalisation insupportable de la précarité et de la pauvreté.

Je ne ferai offense à personne en rappelant combien de parlementaires, dans cet hémicycle, attachés à un droit de propriété absolue, ont estimé, dans un passé récent, que l’absolu ne l’était finalement pas tant que ça !

Lors de l’examen du texte sur l’expropriation des biens manifestement à l’abandon, nous avons bien noté que le droit de ne rien faire de son bien resterait sacro-saint quand il s’agit de biens construits, finis et entretenus susceptibles de participer à l’hébergement des mal-logés, mais ne saurait être toléré quand une collectivité peut y voir une opportunité de développement. Il s’agit donc d’un droit absolu à géométrie variable.

La volonté de mélanger domicile, local d’habitation et local ayant d’autres destinations nous pousse sur une pente dangereuse. Elle aboutit à un texte qui n’a que faire de l’équilibre entre les propriétaires, les bailleurs et les locataires, équilibre mis en place en 1989, constamment amélioré depuis lors et protégé par tous les acteurs institutionnels et professionnels du secteur. Cet équilibre sera mis à mal, voire détruit, par ce texte.

L’autre hypocrisie des auteurs de ce texte est la tentative très maladroite et fragile constitutionnellement, d’après l’aveu même du garde des sceaux, de confondre protection de la propriété et protection du domicile.

Le domicile et la propriété sont protégés de manière différenciée. Pour tous les cas affreusement tristes et scandaleux de propriétaires ne pouvant intégrer leur domicile, c’est non pas le manque de protection dans notre droit qui est en jeu, mais une méconnaissance des mécanismes de protection, comme le rappelle le président du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, dans un courrier adressé aux membres du Sénat : « Il semble la plupart du temps que les propriétaires, en particulier les plus modestes, souffrent d’un manque de moyens de la justice et d’accès aux dispositifs de prévention des expulsions plutôt que d’un droit inefficace. »

Venons-en à la criminalisation des locataires en difficulté. Elle est non seulement totalement indécente, mais aussi inutilement indécente, car elle ne peut pas apporter une solution à ce problème. Faire endosser une responsabilité pénale aux personnes en difficulté, qui n’ont pas été aidées par l’État, est d’un cynisme rare !

Les mesures d’aide sociale relatives à l’hébergement des familles en graves difficultés économiques ou de logement relèvent de la responsabilité de l’État, qui est parfois trop défaillant. Les collectivités ne peuvent se substituer à la puissance publique nationale.

Une décision récente du Conseil d’État a rappelé que la carence avérée et prolongée de l’État est caractérisée. En tant que chambre des territoires, nous savons combien les collectivités tentent, si elles le peuvent et si l’État les laisse faire, de pallier les nombreux manquements de l’État, particulièrement pour ce qui concerne les mises à l’abri.

Mais où est ce gouvernement ? Où est la politique du logement, maintes fois annoncée et toujours reportée ? Supprimée du projet de loi confortant le respect des principes de la République, dit aussi projet de loi Séparatisme, c’est l’Arlésienne du président Macron. En 2018, celui-ci avait déclaré : « Je veux que nous puissions apporter un toit toutes celles et ceux qui sont aujourd’hui sans abri. » En 2022, le ministre délégué chargé de la ville et du logement, M. Olivier Klein, a réduit cet objectif aux seuls enfants. Depuis, toujours rien, monsieur le ministre.

« Le locataire reste parce que l’État est incapable de respecter ses propres obligations en matière de droit au logement ou à l’hébergement », observe Claire Hédon, la Défenseure des droits, qui s’inquiète des conséquences d’une adoption de ce texte, pour des milliers de personnes déjà sur le fil.

J’ai entendu et apprécié les discussions en commission, mes chers collègues, qui ont mis en évidence le besoin de prise en charge des locataires en difficulté via l’établissement d’un bilan social des locataires. Mais qui pourra effectuer ces bilans ? Quels sont les moyens des préfectures pour accompagner ces personnes en difficulté ?

Les débats de l’Assemblée nationale ont permis de rappeler le manque de moyens des travailleurs sociaux du 115 et le manque de places d’hébergement d’urgence. Chaque soir, en France, 5 000 personnes appellent en vain le 115, dans l’espoir d’une place en hôtel ou en foyer d’urgence. À Marseille, où 25 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, à peine un appel sur trois aboutit. Où est l’État ?

Toutes les histoires, aussi tristes les unes que les autres, de petits propriétaires dans l’impossibilité de récupérer leurs domiciles occupés illégalement sont souvent le reflet d’une méconnaissance du droit ou de l’inaction des services de l’État. Médiatiques et insupportables, toutes ces situations ont été résolues, sans nécessité de modifier la loi.

Si ! Sommes-nous capables de trouver un chemin pour protéger à la fois les propriétaires, les locataires, les personnes mal logées ou à la rue ? Les moyens de protéger les petits propriétaires existent. Des mesures de protection équilibrées pour les propriétaires et les locataires pourraient être renforcées, comme la garantie des loyers. Mais rien dans l’écriture du texte, ni même dans sa réécriture moins délirante par la commission de notre assemblée, ne montre que l’objet de cette loi est la protection de ces petits bailleurs parfois démunis face aux démarches.

Le but affiché est punitif. La conséquence est la punition de familles en difficulté. Il s’agit d’une criminalisation de ceux qui subissent la précarité, de ceux qui souffrent du mal-logement et qui se voient offrir peu de solutions. Plus de 4,1 millions de personnes sont mal logées ; 300 000 personnes sont sans abri, dont 42 000 enfants. Les chiffres sont édifiants.

Les causes sont multiples et complexes, mais la crise actuelle, inédite, entraîne une accélération de la paupérisation des populations fragiles. Les solutions à cette détresse, qui pousse les personnes dans la rue ou dans des situations d’impayés, que la proposition de loi nomme des « occupations frauduleuses », sont absentes du texte.

La notion de pénalisation et de prison pour des problèmes d’impayés est insupportable. Vous ne pouvez plus payer votre loyer, votre bail est résilié. Pourtant, vous occupez encore votre logement, faute de solutions autres que la rue ou la prison. La prison pour dettes est de retour dans notre République ! Serions-nous prêts à considérer cette dette comme la plus criminelle au sein de notre société ?

Au-delà d’une réflexion insensée plaçant l’insolvabilité de loyer dans un champ différent des autres insolvabilités, quelle est la finalité de cette pénalisation sous la forme d’une peine d’emprisonnement ? Toute sanction financière sous forme d’amende aura aussi pour conséquence de créer un cercle vicieux maintenant les occupants illégaux dans la précarité.

Hormis la valeur symbolique de la punition, qui sera gagnant ? Le propriétaire aura encore moins de chance de recouvrer sa créance.

Le président du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées l’a rappelé : « En privilégiant l’expulsion, les propriétaires auront bien moins de possibilités pour recouvrer leurs dettes. Et les locataires rejoindront les rangs des sans domicile fixe ou des sans-abri. »

La précarité est le problème de base, dans un contexte incertain alliant inflation, accroissement des contrats précaires, augmentation des factures énergétiques et diminution des indemnités de chômage. Les situations de défaut de paiement se multiplieront. Les dispositifs de mise à l’abri et d’hébergement d’urgence issus du droit au logement opposable (Dalo) ne sont pas suffisamment mis en œuvre. Ils constituent pourtant les solutions qu’un vrai texte sur le sujet aurait dû prendre en compte.

Les dispositions de ce texte vont dans le sens inverse ! D’après la Fondation Abbé Pierre, elles provoqueront jusqu’à 30 000 décisions d’expulsion supplémentaires, soit autant de personnes qui risquent de se retrouver à la rue.

Mes chers collègues, c’est avec une certaine fascination que j’observe une tentation quelque peu démagogique en matière de positionnement sur le droit de propriété, que personne, je le répète, ne remet en cause. Ce positionnement, fortement affirmé et défendu par certains dans cet hémicycle est pourtant variable, comme je l’ai rappelé pour ce qui concerne l’expropriation des biens en état d’abandon manifeste. Un jour, le droit de propriété est absolu, le lendemain, il ne l’est pas.

C’est notre devoir de garantir les droits et la protection des plus vulnérables. La loi telle qu’elle nous est arrivée de l’Assemblée nationale est une caricature de surenchère, de déséquilibre et de pénalisation à outrance, qui établit un amalgame coupable entre protection de la propriété, protection du domicile, squat et incapacité de payer.

Si je remercie les rapporteurs d’avoir perçu certains risques et de les avoir réduits en adoptant certains amendements, la ligne rouge de la criminalisation de la pauvreté, qui n’aura aucun impact sur les préjudices subis par les propriétaires, a été franchie.

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