Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce débat n’est qu’un prélude à l’examen du vingt-neuvième texte de loi relatif à l’immigration depuis 1980.
« La France ne peut pas accueillir tout le monde si elle veut accueillir bien » : voilà ce que déclarait le Président de la République en 2019. Pourtant, rien dans les derniers budgets présentés ou dans les dernières politiques annoncées ne vient refléter cette doctrine.
Si mieux accueillir, c’est réduire de plus d’un tiers les crédits octroyés à l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) dans le budget pour 2023, la discussion risque d’être compliquée, tant le décalage entre les actes et les paroles est grand.
« Je crois au vrai en même temps sur la politique migratoire aussi », disait le chef de l’État lors du même entretien. Or, à mon sens, nous ne voyons pour l’heure que la jambe droite de sa politique migratoire, peut-être parce que c’est celle qui porte réellement ses convictions.
Sinon, comment justifier que tout soit vu au prisme de la sécurité ? Comment comprendre qu’un sujet de société si important ne soit réellement examiné qu’au travers d’une vision sécuritaire ? Nous aurions encore préféré étudier la création d’un véritable ministère consacré à la politique d’immigration, d’accueil et d’intégration.
Pourquoi ne pas appréhender ce débat sous l’angle humanitaire, dans un esprit de fraternité et de solidarité, qui va d’ailleurs de pair avec le réalisme et le pragmatisme économique, social et climatique ?
Je le répète, les questions d’immigration ne peuvent se limiter à leur aspect sécuritaire, ni même être abordées prioritairement par ce biais. Nos discussions d’aujourd’hui permettront, je l’espère, de recentrer le débat.
L’immigration est un phénomène normal, historique et récurrent, qui a participé et participera à la construction de notre pays ; un phénomène démographique complexe, tributaire des guerres comme des famines et, désormais, provoqué par le changement climatique ; un phénomène qui entraînera des mouvements de population de plus en plus nombreux dans les années à venir, que ce soit entre les continents ou au sein même de l’Europe.
En 2017, le candidat Macron promettait : « Nous examinerons les demandes d’asile en moins de six mois, recours compris. C’est nécessaire pour accueillir dignement les réfugiés qui ont droit à la protection de la France. » Pourtant, les juridictions administratives et la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) dressent un constat unanime : l’embolisation totale d’un système mal calibré.
Qu’il s’agisse de l’accès aux préfectures et à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) pour l’obtention ou le simple renouvellement d’un titre de séjour, de l’accès au travail ou à une prise en charge médicale effective, les parcours des migrants sont trop souvent semés d’embûches. Ce système, bien loin de nourrir des « profiteurs », maintient des milliers de personnes dans la précarité.
En parallèle, que dire de l’ambition affichée de supprimer « les protections contre l’éloignement pour motif d’ordre public », par exemple pour les étrangers résidant en France depuis plus de dix ans ?
Nous, au sein du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, sommes clairement favorables à une plus grande célérité des procédures, mais jamais aux dépens des droits des personnes ou des conditions de travail des agents de notre service public. Il faut certes juger plus vite, mais il faut surtout juger mieux.
Le Gouvernement se fixe pour objectif l’application de 100 % des OQTF. Quel est le sens de cet affichage politique ? Quel est le chemin pour y arriver ? Quels sont les dispositifs concrets mis en œuvre ? Le taux d’application de ces décisions s’est limité à 20 %, de manière assez constante au cours des dernières décennies.
À ce titre, nous pensons que la multiplication des CRA pour répondre aux difficultés diplomatiques des éloignements est un non-sens. Et que dire de possibles placements en CRA en vertu d’OQTF vieilles de trois ans, appliquées sans réévaluation des situations personnelles ou professionnelles ?
De toute évidence, une telle annonce s’accorde bien à la volonté exprimée par le ministère de l’intérieur à l’égard de ces étrangers : leur rendre la vie impossible.
Aujourd’hui, je pense à la promesse d’Orléans, formulée en 2017 et définitivement enterrée : le Président de la République avait alors déclaré qu’aucun demandeur d’asile ne dormirait dehors. Aucune des mesures qui nous ont été présentées ne s’attelle à ce sujet pourtant essentiel.
À Calais, 97 % des expulsions des lieux de vie ne sont pas suivies de mises à l’abri. De telles situations sont d’autant plus inacceptables que les peines encourues pour avoir facilité l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’étrangers seront quant à elles alourdies ; nous nous inquiétons tout particulièrement pour les bénévoles des associations.
Au printemps de 2022, le président-candidat entendait « poursuivre la refonte de l’organisation de l’asile et du droit au séjour pour décider beaucoup plus rapidement qui est éligible. »
La crise ukrainienne a montré que l’Europe, en particulier notre pays, pouvait accueillir, bien accueillir et accueillir rapidement lorsque la volonté politique était là. La mesure dérogatoire concédée à l’Ukraine a fait ses preuves : ne devrait-elle pas tendre à devenir la règle ?
Aller plus vite, c’est permettre un système de rendez-vous plus efficace en préfecture, où commence souvent une succession d’obstacles qui donne aux intéressés l’impression de se heurter à un « mur administratif ».
J’ai déjà eu l’occasion de le dire : où qu’ils se trouvent, les agents présents sur le terrain sont confrontés à la perte de sens de leurs missions et des moyens qui leur sont accordés. Cette situation débouche aussi sur un état d’insécurité pour des personnes sans droits sur notre territoire, qui deviennent la proie de réseaux.
Privés de titre de séjour, les étrangers sont maintenus dans la dépendance de l’accompagnement assuré par les associations. Ils ne peuvent pas obtenir de travail déclaré, un logement ou encore un bon accès aux soins.
Nous accueillons plutôt favorablement la régularisation annoncée des travailleurs exerçant sur notre sol, comme la volonté nouvelle de ne plus détourner le regard face aux employeurs peu scrupuleux. Toutefois, rien n’est précisé quant au parcours vers la nationalité française.
Certains de ces travailleurs, exerçant souvent des métiers dits « de première ligne » pendant la crise de la covid, ont bénéficié de ce parcours de reconnaissance vers la nationalité. Pourtant, aux termes du débat actuel, rien ne permet de refonder cet accès à la nationalité pour les personnes intégrées qui le souhaitent.
Quant à la notion de « travailleurs des métiers en tension » sur notre sol, elle nous laisse pour le moins circonspects : vous nous présentez, en quelque sorte, une variante de la notion de travailleurs méritants.
Derrière ces annonces, il y a un vrai sujet : l’utilité sociale de l’immigré implique-t-elle une assignation à résidence, comme le disait le Président de la République ?
Imaginons une personne accueillie sur notre territoire au motif qu’elle travaille dans un secteur en tension. La situation de ce domaine d’activité s’explique par des raisons bien particulières – conditions de travail difficiles, précarité de l’emploi, salaires insuffisants, etc. S’il veut demeurer en France, ce travailleur sera-t-il condamné à rester dans ledit secteur ? Pis, en cas de perte d’emploi, bénéficiera-t-il toujours d’un titre de séjour ?
Une telle logique pourrait vite devenir purement utilitariste : elle risque de réduire l’étranger à un travailleur interchangeable, vision qui nous paraît particulièrement problématique.
Le Gouvernement a aussi exprimé l’intention de renforcer les exigences relatives à la maîtrise du français, et c’est normal ; mais quelles seront les modalités d’accompagnement ? Qui seront les évaluateurs et les formateurs ?
La lutte contre l’immigration irrégulière est la priorité du Gouvernement, l’axe presque unique de réflexion de sa politique migratoire : dont acte.
La position de notre groupe est connue de tous : nous pensons au contraire que la question migratoire ne doit ni ne peut se limiter au prisme du travail ou de la sécurité.
Les moyens de l’administration doivent d’abord être destinés à faciliter l’accès au séjour et l’intégration. La criminalisation outrancière de l’étranger est contraire à nos valeurs.
On entend réviser les procédures judiciaires et administratives sous couvert de simplification, quitte à s’éloigner du contradictoire, de la collégialité et d’autres principes des droits de la défense : ce n’est pas acceptable.
Last but not least, comment ne pas relever votre silence assourdissant au sujet des frontières, y compris au sein de l’Union européenne ? Pour vous, la problématique est de surveiller plus que de secourir : nous l’avons bien vu.
Avec le président Gontard et d’autres de mes collègues, j’ai clairement observé la situation à Montgenèvre, par exemple. Non seulement les secours font défaut, mais beaucoup d’associations rapportent encore aujourd’hui le manque d’enregistrement des demandes d’asile, malgré les rappels répétés du Conseil d’État quant à la réalité de ce droit.
Où en est la réflexion sur ce sujet ? Qu’entend faire le Gouvernement face à ces refoulements sauvages aux frontières ?
Notre pays s’enorgueillit d’accueillir et de sauver : à ce titre, nous devons veiller à l’inconditionnalité de la dignité dans l’accueil, car tel est vraiment notre honneur. Or je regrette qu’il s’applique de manière variable, entre l’Aquarius et l’Ocean Viking.
L’acceptabilité des refus doit s’ancrer dans le respect des procédures et des personnes. Mes chers collègues, ne voyez dans cette attitude ni naïveté ni idéalisme utopique. Au contraire, entendez le besoin de bien accueillir les personnes arrivant sur notre sol, la nécessité de mieux respecter leurs demandes et notre souhait d’un véritable travail européen !