Intervention 2: amendement 90
M. Guy Benarroche. Parmi les objectifs développés dans le rapport annexé figure en premier lieu le renforcement de la présence des gendarmes et des policiers sur le terrain : en d’autres termes, remettre du « bleu » sur la voie publique, selon l’expression d’Emmanuel Macron.
Mais quelle sera la réelle mission du policier sur le terrain ? Sera-t-il un agent verbalisateur dont la première mission sera de sanctionner, de constater les infractions, de verbaliser, d’écarter les personnes indésirables sur la voie publique ? Alors même que la relation entre la police et la population n’est pas apaisée, il n’y a dans ce rapport aucune contrepartie, aucun contrôle qui permette de s’assurer d’un équilibre entre exercice des missions de sécurité et suivi des missions sociales des agents des forces de l’ordre, ni aucune perspective d’amélioration des liens entre la population et la police.
Nous craignons très clairement que le ministre Darmanin ne déploie plus d’officiers sur le terrain, dans une logique exclusivement répressive.
Le malaise de la police, parallèle à celui de l’institution judiciaire, s’accroît d’année en année. Il est lié à plusieurs facteurs qui s’entretiennent et se renforcent mutuellement : la dégradation des conditions de travail, la politique du chiffre et du résultat, des locaux vétustes, l’augmentation du nombre d’interventions, un management désuet, une confiance rompue avec les citoyens, etc.
Seule une réforme d’ampleur modifiant les prérogatives et missions des polices permettra de revaloriser les métiers.
Le groupe écologiste appelle de ses vœux une grande réforme pour restaurer une police plus territorialisée, s’appuyant sur la connaissance de son terrain, tout en répondant au sentiment d’insécurité des habitants. Nous voulons une police au plus près de la population, qui crée de la confiance et qui soit en contact permanent avec les bailleurs sociaux, les maires, les associations de résidents et de quartier.
Comme l’a indiqué la CNCDH, dans son avis sur les liens entre la police et la population, l’instauration d’un climat de confiance entre les habitants et leur police, notamment dans les quartiers défavorisés, s’avère « plus efficace sur le long terme qu’une approche exclusivement répressive pour prévenir des incivilités de la petite délinquance ».
Sur l’accueil des usagers, le livre blanc de la sécurité intérieure reconnaissait qu’« améliorer la qualité de l’accueil du public est […] l’un des vecteurs premiers d’une relation de confiance entre la population et les forces de sécurité intérieure ». Aussi, il importe que le ministère de l’intérieur prenne un soin particulier à améliorer l’accueil des usagers au sein des brigades et des commissariats. Comme l’indique l’avis déjà cité de la CNCDH, à l’échelon local, « l’amélioration de la qualité de la relation police-habitants ne doit pas seulement être un objectif, mais elle doit être pensée, mise en œuvre et enfin évaluée systématiquement ».
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. M. Guy Benarroche s’est longuement inspiré de la CNCDH pour rédiger son amendement. Je lui avais indiqué en commission qu’il était tout à fait possible d’intégrer une partie des évolutions qu’il appelle de ses vœux. Mais certaines priorités proposées – nous y reviendrons dans le débat ultérieur – sont très problématiques ; je pense par exemple au développement de missions sociales par la police, à la remise de récépissé en cas de contrôle d’identité ou à l’interdiction de verbalisation à distance.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne puis être qu’en accord avec M. le rapporteur. Mais, monsieur Benarroche, je suis tout de même très étonné – le terme « choqué » serait sans doute trop lourd – de votre défiance à l’égard des forces de l’ordre.
M. Guy Benarroche. Pas du tout !
M. Gérald Darmanin, ministre. Dans votre amendement, il est écrit : « Le Gouvernement refusera tout usage du pouvoir de verbalisation à d’autres fins que celle prévue par la loi. ». Si vous avez connaissance de verbalisations que l’on ne dresse pas selon les lois de la République, il faut me dire lesquelles ! Selon vous, les policiers verbaliseraient sans s’appuyer sur des textes réglementaires ou législatifs ? C’est tout de même très étonnant !
Je continue la lecture de votre amendement : « Les pratiques de contrôle d’identité et de verbalisation seront évaluées à l’aune de leur impact, positif ou négatif, sur la confiance entre la police et la population. Le Gouvernement restreindra les possibilités de contrôle d’identité […] ». Je tiens à dire qu’en France, aucun contrôle d’identité n’est réalisé hors de l’autorité judiciaire : soit il y a une réquisition, soit le contrôle est opéré par un OPJ ayant été habilité par un magistrat.
Vous n’avez pas confiance envers les forces de police et de gendarmerie. Ces forces, voyez-vous, sont formées. Elles ne portent pas la même parole que n’importe quel citoyen ; la leur est « supérieure » du fait, justement, de leur statut d’auxiliaires de justice.
Vous évoquiez la souffrance au travail. La pire des souffrances au travail, c’est quand il y a une très forte suspicion de la part des personnes qui sont sous votre autorité. Je pense que de nombreux policiers et gendarmes seraient assez blessés à la lecture de votre amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Monsieur le ministre, sachez que si vous êtes choqué par notre amendement, je le suis tout autant par vos propos. Ils ne résument absolument pas notre pensée. Pour ma part, je ne me suis pas permis de résumer la vôtre d’une manière aussi caricaturale.
Nous proposons la création d’un programme local permettant d’identifier les besoins et les attentes des usagers. Il serait établi entre les habitants et les forces de l’ordre et aurait comme critère la satisfaction des usagers concernant leur accueil, avec une évaluation. Ce n’est pas là l’expression d’une défiance, monsieur Darmanin. C’est une manière de rendre son sens au travail et de nourrir la confiance, ce qui aura une influence, aussi, sur le bien-être au travail des policiers.
Je ne vois pas cette proposition comme une marque de défiance, et de nombreux policiers ne la considèrent pas comme telle non plus.
Il est essentiel que le Gouvernement repense les missions de la police. Les pratiques actuelles, qui sont décriées par certaines associations, et pas seulement par la CNCDH, nous le font penser. La police est le représentant le plus accessible de l’État et des pouvoirs publics, monsieur Darmanin. Elle se doit d’être le reflet des valeurs de notre République ; je peux vous les rappeler, mais vous les connaissez aussi bien que moi, si ce n’est mieux !
L’évaluation de l’impact des pratiques policières, dont vous venez de parler, sur la qualité de la relation entre la police et la population est un angle mort et un impensé de votre politique, monsieur le ministre de l’intérieur. Dès lors, les membres de notre groupe appellent de leurs vœux une véritable prise en compte des choix politiques du ministère de l’intérieur au regard de leurs conséquences sur cette relation. Le renforcement de cette confiance n’est pas seulement au service des citoyens ; il permettra aussi d’améliorer les conditions de travail des fonctionnaires de police et des militaires de la gendarmerie.
Certaines pratiques policières ne font que renforcer la dimension répressive du travail des agents et portent atteinte à la relation entre la police et la population. Je pense, entre autres actes, aux contrôles d’identité ou aux verbalisations systématiques. Les contrôles d’identité, en particulier, représentent une des principales occasions d’interaction entre les forces de l’ordre et certaines catégories de la population. Ils sont à la source de tensions.
intervention 3 : amendement n° 71
M. Guy Benarroche. Le rapport annexé prévoit la dématérialisation de la procuration de vote, qui permettra à terme de « supprimer le nécessaire passage devant une autorité habilitée », par exemple un officier de police judiciaire ou un adjoint de police judiciaire.
Personnellement, comme je l’ai souvent exprimé lors de l’examen de textes législatifs, j’estime que la procuration est clairement la modalité de vote la plus insincère ; mon ami Éric Kerrouche, qui est absent, ne me contredirait pas. C’est effectivement la seule modalité de vote dont on ne peut être totalement sûr de l’effectivité ou de la véracité. Les risques liés à l’absence d’OPJ dans le cadre de cette procédure n’ont échappé à personne, surtout sur les travées de cette assemblée. J’oserais ajouter qu’on a vu pas mal de « procurations simplifiées » chez moi, à Marseille et dans les Bouches-du-Rhône.
L’usager n’aura plus à se déplacer au commissariat de police, à la brigade de gendarmerie ou dans un tiers lieu autorisé par arrêté du préfet pour établir sa procuration. Le Gouvernement prévoit donc implicitement la fermeture des guichets. Or, outre le problème d’insincérité, nous savons que 13 millions de personnes en France sont touchées par l’illectronisme ou ne sont pas à l’aise pour mener des démarches dématérialisées. Les personnes âgées, les personnes fragiles seront mises en difficulté du fait des envies de « tech » du Gouvernement. Pire, on pourrait abuser de leur confiance avec ce système et les faire voter à leur insu.
La fermeture des guichets en cas de dématérialisation d’une démarche administrative porte toujours atteinte au principe d’égal accès au service public. Les usagers doivent conserver le choix de leurs relations avec les forces de sécurité et les agents du service public, afin de ne pas être enfermés dans une relation exclusivement numérique.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Encore une fois, vous partez d’un postulat qui vous fait aboutir à une mauvaise conclusion !
Vous craignez des fermetures des guichets ? Mais, dans sa réponse aux orateurs, M. le ministre vient d’annoncer qu’il n’y en aurait pas.
M. Guy Benarroche. Peut-être, mais les faits prouvent le contraire !
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. La plainte en ligne est une faculté, précisément pour permettre à des personnes qui travaillent d’éviter de devoir se déplacer et de subir une longue attente. Cela n’empêche en rien de se rendre au commissariat. Les guichets resteront ouverts.
L’amendement est donc satisfait par la rédaction du texte. Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. M. le rapporteur a raison : il s’agit d’une faculté. Il sera évidemment toujours possible de se rendre physiquement dans un site délivrant des procurations.
La préprocuration en ligne a tout de même démontré sa popularité. De mémoire – je ne me souviens plus exactement du chiffre –, on en a enregistré 170 000 environ. Elles ont permis, je crois, à des citoyens d’exercer leur droit de vote. Certes, on peut toujours être contre les procurations. Mais là, c’est un débat qui dépasse le cadre du présent projet de loi.
Bien entendu, il faut pouvoir s’occuper de l’identité de la personne. À ce titre, aujourd’hui, on n’a pas trouvé mieux que l’OPJ. Mais cela induit aussi beaucoup de tâches pour les policiers et les gendarmes. Or ceux-ci ont peut-être autre chose à faire, si j’ose dire, que des vérifications d’identité. Il existe sans doute des moyens plus modernes. À une époque où l’on paie ses impôts sans passer par un percepteur, on peut peut-être vérifier l’identité de quelqu’un sans passer devant un OPJ.
C’est pourquoi l’expression « à terme » est employée dans le projet de loi. Nous allons travailler sur la question de l’identité numérique, qui donnera peut-être lieu à des discussions. Aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, vous effectuez des virements bancaires, c’est-à-dire des opérations importantes, sans passer par votre banque, parce qu’il n’y a pas de doute sur votre identité numérique. Le dispositif qu’imagine le Gouvernement, en particulier le ministère de l’intérieur, en lien avec la Cnil et le Conseil d’État, permettra de vérifier d’identité de la personne. En outre, le contrôle de la procuration s’effectue également lors du vote.
Par conséquent, monsieur le sénateur, sauf si vous êtes opposé par principe à la procuration, et dans ce cas, on ne pourra pas faire grand-chose dans ce texte, vous pouvez être à la fois rassuré et moderne.
Ce débat me permet d’indiquer que le projet de loi ne concerne pas seulement les forces de l’ordre. Nous traitons de toute l’action du ministère de l’intérieur, à commencer par un grand service, celui des élections. Nous modernisons effectivement beaucoup les procédures de vote dans ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Depuis le début de la dématérialisation, on nous assure que l’on va conserver les guichets. Mais, nous le voyons bien, dans les faits, cela conduit toujours in fine à la disparition de personnels et de services, avec des difficultés croissantes pour des millions de personnes. Je ne parle pas de celles qu’évoque M. le ministre de l’intérieur ! Pour ceux qui ont une maîtrise totale de tous les outils, de telles évolutions n’entraînent évidemment aucune difficulté. Mais, pour 13 millions de personnes – je n’ai pas inventé ce chiffre –, c’est problématique.
De telles procédures mènent toujours à la disparition de l’humain et de l’accueil du public. Les faits le prouvent. Mon raisonnement est bien étayé, et la conclusion à laquelle j’aboutis est bien celle à laquelle je dois aboutir. Elle n’a rien de virtuel. Elle décrit la réalité de la vie.
intervention 4: amendement n° 72
M. Guy Benarroche. La politique du Gouvernement consiste à supprimer toujours plus de guichets dans l’ensemble des services publics – c’est le cas, par exemple, dans les préfectures, s’agissant des prises de rendez-vous pour les titres de séjour – sans tenir compte du handicap réel et de l’éloignement de personnes aux outils numériques.
Le développement des points d’accueil France Connect dans les préfectures suffira-t-il à garantir à nos concitoyens un égal accès aux démarches administratives ? De leur côté, les maisons France Services offrent un accompagnement pour les démarches en ligne, mais n’ont pas pour objet d’effectuer ces procédures à la place de l’usager.
Dans son rapport sur la dématérialisation des services publics, le Défenseur des droits dénonce : « […] l’usager […] devient le coproducteur malgré lui. C’est à lui qu’il revient de s’équiper, de s’informer, le cas échéant de se former et, partant, d’être en capacité d’effectuer ses démarches en ligne, tout en répondant aux “canons” fixés par l’administration : comprendre les enjeux de la démarche, le langage administratif, ne pas commettre d’erreur au risque de se retrouver en situation de non-accès à ses droits. » C’est ainsi que l’on voit se multiplier les cas de non-recours aux droits.
Le Défenseur des droits conclut : « Sur les épaules de l’usager ou de ses “aidants” reposent désormais la charge et la responsabilité du bon fonctionnement de la procédure. On demande en réalité aux usagers de faire plus pour que l’administration fasse moins et économise des ressources. »
Une nouvelle fois, je m’étonne que la majorité sénatoriale ne soutienne pas notre amendement, dont l’adoption aurait pour effet d’éviter de grever les finances locales en leur faisant payer les dépenses de l’ambition gouvernementale.
Je le rappelle, les collectivités territoriales financent une grande partie des espaces France Services, et l’aide de l’État qu’elles perçoivent n’est pas suffisante. L’État et les opérateurs partenaires contribuent aux coûts de fonctionnement des plus de 1 100 maisons France Services à hauteur de 30 000 euros par an, soit le coût d’un agent d’accueil pour chacune d’entre elles. L’État fait donc supporter le coût de la fermeture des guichets des services publics aux finances des collectivités territoriales, ce qui n’est pas souhaitable.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Selon Mme Assassi, l’information doit être apportée par contact personnel avec un APJ. Peut-être, mais pas exclusivement !
J’ai lu dans le détail – c’est mon rôle – le rapport d’orientation présenté par M. le ministre. Il est écrit noir sur blanc : « Afin d’améliorer l’accompagnement des usagers lors de leurs démarches en ligne et de réduire la fracture numérique, chaque téléprocédure devra être dotée d’un moyen d’accompagnement effectif et adapté à tous les usagers. » En adoptant un tel amendement, on supprimerait cette phrase, qui garantit justement un moyen adapté à tous les usagers.
De son côté, M. Benarroche continue ses procès d’intention. Mais, comme les fois précédentes, son amendement est satisfait par le projet de loi, dont la rédaction me semble parfaitement claire.
Avis défavorable sur ces trois amendements.