Projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027. Explication de vote.

Monsieur le président 

Mesdames les rapporteurs 

Monsieur le Ministre 

Chers collègues, 

Nous nous retrouvons pour expliquer nos positions de vote sur les projets de lois dits “JUSTICE” qui nous ont permis la semaine dernière, autour d’échanges respectueux et de qualité (marque de notre assemblée), de présenter les questionnements que nous pouvions avoir sur la vision de la justice des prochaines années présentée par le gouvernement. 

 
Magistrats épuisés, greffiers en sous-effectif permanents, délais trop importants ou incompréhensibles avec pour corollaire des détentions provisoires bien trop longues. 

Même si nous partageons ce constat et l’urgence d’agir, notre groupe ne saurait s’aligner sur l’ensemble de la vision proposée par cette assemblée et par le gouvernement. 

Oui le budget est en hausse et lors du prochain Projet de Loi de Finances nous soutiendrons cette ambition nouvelle, mais plus que son montant, ce sont sa répartition et son utilisation qui nous interrogent. 

Nous regrettons le manque de volonté de s’organiser différemment, particulièrement la trajectoire annoncée une fois de plus le tout carcéral. 

J’ai bien entendu sur le sujet que les rapporteurs “La solution passe par la construction de places et il faut aller vite. Nous sommes donc favorables à ce que les peines soient exécutées dans de bonnes conditions, grâce à un nombre suffisant de places.” et le ministre “ Le seul levier dont nous disposons aujourd’hui, selon moi, pour faire cesser la surpopulation carcérale consiste à construire de nouveaux établissements pénitentiaires. “ 

Plus que réfuter cette vision nous la refusons de manière catégorique : la construction de prison n’est pas, ne peut pas être le seule solution à la surpopulation carcérale et aux conditions de détention indignes qu’elle entraîne et pour lesquels notre pays est si souvent et si lourdement condamné par la Cour Européenne des droits de l’Homme. 

Je rappelle que notre pays a tout autant été condamné en raison de la  surpopulation carcérale structurelle que pour l’absence de recours effectif permettant à un détenu de faire cesser des conditions de détention qu’un tribunal jugerait indignes. 

Les Etats généraux de la justice avaient plaidé pour un mécanisme fixant pour chaque établissement un seuil de « sur-occupation majeure » au-delà duquel pourraient être « envisagées » des mesures de « régulation » de la population carcérale. 

Et cette régulation carcérale est bien la grande absente de ce texte. Le ministre a bien exposé que ces problématiques étaient déjà mises en œuvre au cas par cas, mais nous regrettons l’absence de volonté d’une expérimentation et une évaluation plus sérieuse. 

Je le redis, une société avec moins de personnes en prison n’est pas un modèle moins disant ou moins sécurisant bien au contraire : les programmes des SPIP , les TIG auquel le ministre est si attaché, et les expérimentations montrent que le coût des alternatives et leur efficacité plaident en leur faveur. 

Voir dans la prison la seule punition possible, dans la détention provisoire une option usuelle plus qu’une exception et développer les comparutions immédiates aboutit à remplir toujours plus les prisons sans que la société ne devienne plus sûre, sans que les détenus et condamnés soient ni mieux punis, ni mieux réinsérés. 

Le volet sur le recrutement des personnels contractuels pour la pénitentiaire nous inquiète tout autant :  moins bien formés, il ne constitue qu’une réponse dégradée d’uberisation de la fonction publique, conséquence voulue (et espérée) d’années de politiques au rabais. 

Ce n’est pas le seul remède. Ce ne doit pas être le seul remède. 

Ces « sucres rapides » sont certes nécessaires parfois, et si nous saluons la volonté de faire sortir de la précarité les assistants de magistrats, nous n’oublions pas que cela ne sert qu’à pallier une politique de recrutement défaillante de magistrats depuis des années. 

Le bon, ce sont les recrutements prévus, le bon, c’est l’équipe autour du magistrat. Certes les solutions avancées dans ce texte  servent à gérer la pénurie mais  sont accompagnées de mesures structurelles insuffisantes
L’accès à la magistrature, l’ouverture à ces recrutements est un des aspects essentiels d’une politique de justice efficace et au service des citoyens. Nous saluons la diversification des voies de recrutement, nous regrettons de nouveau un réveil bien trop tardif dans les besoins d’élargir le nombre de magistrats et ce aussi grâce à l’adoption d’un amendement de notre groupe afin faciliter la voie d’accès au concours professionnel pour les docteurs en droit. 

Nous regrettons l’adoption de M. Bonnecarrere  qui semble vouloir « remettre en cause la liberté syndicale des magistrats ». 

Nous sommes, vous le savez, très attachés au déroulement d’un procès dans les meilleures conditions, respectant le temps de l’enquête, et les droits de la défense. 

Nous avons déjà pu l’exprimer, les modalités de visioconférence ne peuvent pas tout le temps être la règle. Comment imaginer qu’un médecin puisse évaluer les conditions de garde à vue par visio ? Comment ne pas voir qu’un interprétariat à distance ne gêne pas le bon déroulé des auditions ? Comment étendre de manière si grande les pouvoirs de perquisition de nuit ? 

Comment ne pas voir dans les vidéo-audiences un éloignement du justiciable et du citoyen des lieux de justice ? 

Nous avons aussi pu exprimer nos inquiétudes sur l’activation des micros, caméras et possibilités de géolocalisation des portables à distance, ou bien sur l’extension des horaires des perquisitions. 

Ces textes sont de nouveau l’occasion de voir se développer l’idée du tout technologique sans que vraiment nous en évaluions les bénéfices : caméras piétons dans les prisons par exemple. 

Sans garantie de continuité d’enregistrement ou d’accès par l’ensemble des parties à ces vidéos, cela semble plus relever de l’effet d’annonce que porter une réelle amélioration. 

Les annonces d’une refonte de l’accès à l’aide juridictionnelle passant notamment par des demandes en ligne risquent d’être contre productives si elle ne s’accompagne pas du maintien des démarches papiers. 

Je le répète souvent mais 13 millions de français souffrent de d’illectronisme à ce jour et le tout internet, tout application, dégrade leur accès au service public. 

Notre groupe salue donc un effort budgétaire qui ne saurait pourtant être en soi salvateur. 

La justice n’est pas pour autant réparée : recrutements non pérennes et insuffisants, maintien d’une politique tout carcéral avec un développement insensé de la construction de prisons, dessaisissement des prérogatives du  JLD par exemple. 

Des mesures positives sont présentes même si elles ne vont pas assez loin. 

Le Garde des sceaux n’a pas pu transformer l’essai et n’a pas marqué ses textes d’une vision globale autre qu’une politique immobilière carcérale au cœur des prochaines années. 

Pourtant c’est une loi d’orientation qui  aurait dû le permettre. Qui aurait pu développer les compétences et actions des SPIP par exemple. 

Nous restons en l’attente d’avancées en ce sens de l’assemblée nationale, pensons encore qu’une inflexion en dehors du tout carcéral est possible. 

Nous regrettons pourtant et ne pouvons dès lors, pas voter ce texte qui apparaît trop caricatural.

Partager