Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme mon collègue Daniel Breuiller l’a indiqué lors de la discussion générale, notre groupe estime que ce texte est en grande partie nécessaire. Les douaniers en ont besoin. Nous ne souhaitons pas entraver cette dynamique, importante pour un service public manquant significativement de moyens, mais aussi utile et efficace face à des trafics et des fraudeurs qui ne cessent de se moderniser.
L’adaptation est un sujet de prédilection pour nous, qu’il s’agisse des bouleversements climatiques ou de tout autre sujet.
Aussi, nous saluons la réécriture de l’article 60 du code des douanes. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 septembre 2022, avait censuré cet article, au motif qu’il contrevenait aux principes à valeur constitutionnelle de liberté d’aller et de venir et du droit au respect de la vie privée.
La possibilité offerte aux agents des douanes d’exploiter et de saisir du matériel ou des documents numériques est également une bonne chose, d’autant qu’elle est liée à une information immédiate du procureur de la République. Nous resterons attentifs au fait que ces nouvelles missions attribuées au procureur soient prises en compte dans les besoins matériels et humains de la justice.
La réécriture en commission de l’article 12 et du dispositif permettant aux agents des douanes de prévenir les infractions commises sur internet nous paraît également utile.
La fraude est grandement facilitée par les spécificités du commerce en ligne : anonymat, sentiment d’impunité, volatilité des sites. Responsabiliser les plateformes et doter les agents des douanes du pouvoir d’inciter leurs opérateurs, selon une procédure graduée, à être plus vigilants quant aux produits disponibles sur leurs sites est une bonne réponse. C’est aussi l’un des grands chantiers menés par l’Union européenne : mise en application à partir de février 2024, la disposition prévue rendra enfin illégal en ligne ce qui est illégal hors ligne. Il était grand temps de le faire !
Globalement, les réponses apportées par le texte nous semblent pertinentes et adaptées. Notre groupe reste cependant particulièrement vigilant quant à l’articulation entre les objectifs de lutte contre la fraude douanière, les moyens qui seront alloués à la douane – notamment en postes pérennes – et les nécessaires garanties des droits et libertés individuelles et de la vie privée.
Nous souhaitons aussi émettre deux réserves d’importance.
La première concerne justement la réserve. Je vais reprendre les mots de mon collègue Daniel Breuiller à ce sujet, pour vous répéter que nous ne comprenons toujours pas, malgré les débats en commission et en séance publique, ce qui justifie cette mesure, si ce n’est une motivation budgétaire. Les missions de la douane justifient plutôt un renforcement des effectifs permanents, qui seront utiles en cas de pic d’activité, voire d’activité normale.
Monsieur le ministre, c’est toujours le même sujet qui revient : après avoir « sous-doté » les services publics d’agents permanents compétents, le Gouvernement émet un constat d’insuffisance, pour pouvoir pallier cette situation au plus vite en mobilisant des personnels n’ayant ni le même statut ni la même formation.
Nous sommes de manière générale très opposés à cette politique de ressources humaines au rabais. Si la douane a besoin de compétences spécifiques, pourquoi ne pourrait-elle pas les recruter ? Les services publics doivent avoir des moyens à la hauteur des ambitions qu’on leur fixe. Certes, la douane est un corps en uniforme, mais c’est aussi une administration civile. La création d’une réserve, ici comme ailleurs, présage une dérive que nous ne souhaitons pas.
Si vous persistez dans la création de cette réserve, il sera nécessaire d’indiquer quels seront les moyens dédiés à la formation et au transfert de compétences associés. En effet, de nombreux agents recrutés dans les années 1980 partiront bientôt à la retraite – ou peut-être pas, attendons le mois de septembre prochain. Or, avec seulement deux écoles des douanes, nous n’avons pas de quoi assurer la formation initiale de leurs remplaçants, sans compter que rien n’est prévu pour compenser le manque de formateurs.
Le second point de vigilance que nous formulons a trait à l’utilisation des drones, par cette administration comme par d’autres. Nous avons bien compris que vous souhaitiez lutter à armes égales avec les criminels. En effet, pourquoi ne pas utiliser les drones pour lutter contre le tabac de contrebande ? Mais uniquement à la condition qu’ils soient utilisés uniquement par la police et la gendarmerie, qui sont seules autorisées par le Conseil constitutionnel à le faire à ce jour. Comme l’a fait valoir le rapporteur pour avis Alain Richard lors de nos débats, il paraît aventureux d’imaginer que cette instance valide l’utilisation de ces caméras pour faire la chasse aux migrants.
Le président de notre groupe, Guillaume Gontard, le rappelait lors des discussions de la proposition de loi Sécurité globale : au-delà de considérations politiques, voire politiciennes, sur une politique migratoire française et européenne inefficace et déshumanisée, la surveillance de la frontière par drone semble particulièrement inopportune. Le retour d’expérience de la surveillance de la frontière américano-mexicaine par drone fait état d’une immense gabegie financière. Cette politique est coûteuse et inefficace.
J’ai déjà eu l’occasion de vous le dire dans le cadre du débat sur la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur : nous ne voulons pas de drones à nos frontières. Nous ne voulons pas non plus du « tout surveillance » dans la politique migratoire, y compris à l’intérieur de nos frontières européennes. Nous voulons une véritable réflexion sur les mouvements migratoires à l’échelle européenne, mais aussi une refonte de nos politiques d’accueil.
Cette réflexion et ce débat auraient pu, et même, j’oserai le dire, auraient dû avoir lieu lors de l’examen en séance du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, tel qu’il est ressorti des travaux de la commission des lois en avril dernier. Nous constatons sans surprise, mais avec toujours autant de déception, que le Gouvernement n’envisage le sujet que sous l’aspect de la surveillance autoritaire.
Monsieur le ministre, j’appelle aussi l’attention sur votre volonté de renforcer les sanctions contre la contrebande. Vous multipliez par cinq certaines peines et vous procédez également à l’interdiction du territoire français pour la vente à la sauvette de tabac par une personne étrangère. Je rappelle ce qu’a dit ici le garde des sceaux la semaine dernière : « Il y a des obligations de quitter le territoire français (OQTF) que personne ne peut exécuter. ».
Il ne s’agit donc là, monsieur le ministre, que d’une posture sécuritaire, qui cherche à stigmatiser des étrangers souvent en situation d’extrême précarité, alors que l’on en fait trop peu contre les têtes de réseaux. Ce sont eux qu’il faut traquer, à Marseille comme ailleurs, ceux qui exploitent cette misère et produisent des cigarettes mélangées avec d’autres substances, qui sont pires encore pour la santé que celles qui sont vendues légalement.
Ce type de répression qui ne s’intéresse qu’à l’étranger délinquant nous laisse un goût amer. On retrouve d’ailleurs ici les mêmes termes que ceux qui sont employés par le groupe d’extrême droite de l’Assemblée nationale dans une proposition de loi poujadiste et nauséabonde faite pour conquérir les buralistes. Monsieur le ministre, ce n’est pas vous, je le sais. Ne flirtez pas avec ces idées. C’est dangereux.
Vous l’aurez compris, nous partageons l’intention du projet de loi de redonner aux douanes et aux douaniers les moyens de travailler dans de meilleures conditions. Nous soutenons toujours cet aspect du texte, relatif à la refonte des moyens d’action de cette administration si utile.
Nous restons, comme toujours, vigilants quant à l’équilibre avec les droits et libertés des citoyens, ainsi que sur les nécessaires moyens à déployer au regard de cette ambition.
Cependant, nos réserves exposées précédemment nous contraignent à nous abstenir. L’utilisation des drones pour la surveillance des flux migratoires est une aberration, la création d’une réserve est une mesure absolument opposée au service public fort, composé de moyens humains suffisamment formés, que nous appelons de nos vœux, et la stigmatisation des étrangers est une habitude dont vous devriez vous défaire.
C’est pourquoi le groupe GEST s’abstiendra sur ce texte.