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Explication de vote : Projet de loi d’orientation de la Justice

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’était exprimé de manière circonstanciée lors de l’examen de ces textes. Les conclusions des commissions mixtes paritaires, dont les rouages, que j’ai pu découvrir pour la première fois il y a peu, relèvent d’un remarquable mélange entre la boîte noire et la chambre d’enregistrement, ne lui semblent guère plus soutenables.

Ce sujet est d’une importance rare pour l’équilibre de notre société, et malgré des échanges respectueux et de qualité que nous avons eus lors de l’examen de ces textes au Sénat, la vision de la justice pour les prochaines années présentée par le Gouvernement et adoptée par les commissions mixtes paritaires ne nous satisfait pas totalement.

Magistrats épuisés, greffiers en sous-effectif permanent, délais trop importants ou incompréhensibles, avec, pour corollaire, des détentions provisoires bien trop longues : ce constat – que je crois partagé – méritait une autre réponse.

L’urgence à agir ne saurait contraindre notre groupe à s’aligner sur l’ensemble de la vision proposée. La régulation carcérale est bien la grande absente de ce texte.

Je rappelle que notre pays a tout autant été condamné en raison de la surpopulation carcérale structurelle que pour l’absence de recours effectif permettant à un détenu de faire cesser des conditions de détention qu’un tribunal jugerait indignes.

Les États généraux de la justice avaient plaidé pour un mécanisme fixant pour chaque établissement un seuil de « suroccupation majeure » au-delà duquel pourraient être envisagées des mesures de régulation de la population carcérale. Le ministre a bien exposé que ces problématiques étaient déjà mises en œuvre au cas par cas, mais nous regrettons l’absence de volonté d’une expérimentation et d’une évaluation plus poussées.

Les rapporteures ont indiqué à ce sujet que « la solution passe par la construction de places », et elles ont ajouté qu’il fallait « aller vite ». Vous avez pour votre part indiqué, monsieur le garde des sceaux, que selon vous, « le seul levier dont nous disposons aujourd’hui pour faire cesser la surpopulation carcérale consiste à construire de nouveaux établissements pénitentiaires ».

Ce fut l’un des sujets centraux de nos discussions. Pourtant, la construction de prisons n’est pas et ne peut pas être la seule solution à la surpopulation carcérale et aux conditions de détention indignes qu’elle entraîne, au titre desquelles notre pays a si souvent et si lourdement été condamné.

Comme la Cour des comptes le rappelait dans un rapport datant du début de ce mois, « la France figure ainsi parmi les dix pays européens où la population incarcérée progresse ». Dans ce même rapport, la Cour alerte sur la réalité de l’évolution du nombre de personnes incarcérées, l’aggravation des conditions de vie en détention et la « situation difficile » qui en découle « pour l’ensemble des acteurs de l’exécution des peines ».

Elle poursuit : « Ce n’est donc qu’en se fondant sur une disposition explicite de nature législative que les magistrats pourraient prendre en compte, parmi les différents motifs fondant leur décision, la situation dégradée des établissements pénitentiaires de leur ressort. Il n’appartient toutefois pas à la Cour des comptes de se prononcer sur l’opportunité de mettre en place par la loi un dispositif national de régulation carcérale. Une telle proposition relève du débat démocratique et d’une orientation forte de la politique pénale. »

Nous nous sommes efforcés de relayer ce débat lors de nos prises de parole. Le rapport de la Cour des comptes montre que ce fut un rendez-vous manqué.

Je le redis : une société avec moins de personnes en prison n’est pas un modèle moins disant ou moins sécurisant, bien au contraire. Les programmes des services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip), les travaux d’intérêt général (TIG), auxquels le garde des sceaux est si attaché, et les expérimentations ont fait la preuve de leur efficacité et de leur moindre coût.

Voir dans la prison la seule punition possible, dans la détention provisoire une option usuelle plus qu’une exception et développer les comparutions immédiates aboutit à remplir toujours plus de prisons sans que la société devienne plus sûre, sans que les détenus et les condamnés soient mieux punis ni mieux réinsérés. La prison n’est et ne doit pas être le seul remède.

Nous saluons la volonté de faire sortir les assistants des magistrats de la précarité et d’ouvrir l’accès à la magistrature via des voies diversifiées. L’ouverture de ces recrutements est l’un des aspects essentiels d’une politique de justice efficace et au service des citoyens. Je me félicite à ce titre de l’adoption d’un amendement que nous avons soutenu visant à faciliter l’accès au concours professionnel pour les docteurs en droit.

Nous regrettons les mesures qui, malgré les modifications apportées par les commissions mixtes paritaires, continuent de remettre en cause la liberté syndicale des magistrats, qui tendent à trop généraliser les modalités de visioconférence, pour la garde à vue notamment, ou qui aggravent l’éloignement du justiciable et du citoyen des lieux de justice.

Nous avons également exprimé nos inquiétudes quant à la refonte de l’accès à l’aide juridictionnelle, à l’activation des microcaméras et des dispositifs de géolocalisation des portables à distance, ou encore à l’extension des horaires de perquisition, et ce, en dépit des limites que nous avons pu introduire dans le texte pour les perquisitions de nuit, limites qui ont été conservées par la commission mixte paritaire.

Si notre groupe salue l’effort budgétaire consenti, celui-ci ne saurait être salvateur en lui-même. La justice n’est pas réparée pour autant. Recrutements non pérennes, maintien d’une politique du tout carcéral, dessaisissement des prérogatives du juge des libertés et de la détention (JLD) : une loi d’orientation aurait dû permettre de lever ces difficultés, par exemple en développant les compétences et les actions des Spip.

Nous le regrettons, et ne pouvons, en conséquence, voter ces textes.

Retrouvez les amendements proposés dans le cadre des débats sur ce projet de loi.

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