Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à l’écoute de la caractérisation que les précédents orateurs, en ouverture de leurs propos, ont faite du terrorisme et de la menace qu’il pose aujourd’hui, je dois reconnaître que ma propre analyse est très proche. Je partage largement ces constats ; c’est sur les dispositions proposées que nous divergeons, même si je relève bien que MM. Darmanin et Dupond-Moretti ont également émis quelques réserves sur certaines d’entre elles, avec leur souplesse et leur diplomatie coutumières.
À mon sens, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, la grande majorité des articles que vous nous soumettez ne répondent pas aux problématiques que vous avez vous-même définies. C’est tout à fait paradoxal ! Cette proposition de loi – c’est mon plus grand reproche – se réduit à un énième texte sécuritaire, qui s’ajoutera aux précédents, mais n’aura pas de réel effet sur les problèmes que vous souhaitez résoudre.
Je partage l’esprit du garde des sceaux : l’État de droit, rien que l’État de droit ! Comme l’indiquait le secrétaire général des Nations unies, dans la lignée d’un ancien commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, « nous devons combattre sans relâche le terrorisme pour protéger les droits de l’homme et, en même temps, en protégeant les droits de l’homme, nous nous attaquons aux causes profondes du terrorisme ».
Certaines des solutions qui auraient pu être mises en avant sont totalement absentes de ce texte. Celui-ci nous paraît se joindre à l’inflation législative de ces dernières années sans transcrire une réflexion concertée ou apaisée.
La menace terroriste existe. Vous l’avez bien définie – elle est forte et protéiforme –, mais les propositions défendues par les auteurs de cette proposition de loi sont loin d’être à la hauteur de l’enjeu. Elles portent en elles des dérives sécuritaires et une surenchère répressive. L’utilité, la constitutionnalité, l’opérationnalité et, plus simplement, l’efficacité des mesures qui nous sont soumises ne nous semblent nullement démontrées ni démontrables.
Les constats du rapporteur témoignent pourtant d’une réalité inquiétante : je pense aux difficultés de prise en charge, y compris psychologique et psychiatrique, des condamnés terroristes à l’issue de leurs peines, à l’imprévisibilité croissante des attaques terroristes par des loups solitaires, ou encore à la problématique de la radicalisation en hausse des mineurs.
Ce texte ne répond pas à ces enjeux. En s’empilant sur notre arsenal contre le terrorisme, nourri de plus de vingt lois depuis 1986, les mesures qu’il contient ne feraient qu’affaiblir les principes fondamentaux de notre droit ; le garde des sceaux nous a d’ailleurs quelque peu mis en garde contre ce danger.
Notre groupe a toujours défendu une politique claire, notamment lors de l’examen de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire : les réponses ne peuvent uniquement consister à rogner les droits de la défense ou la capacité du juge à juger.
La prise en charge et le suivi, notamment psychiatrique, des condamnés terroristes après leur peine ne peuvent se faire au prix de la suppression des garanties auxquelles ont droit les justiciables. L’autoradicalisation ne peut se juguler sans comprendre l’isolement social et les pathologies, parfois psychiatriques, des individus ni assurer leur prise en charge. La radicalisation des mineurs ne peut s’appréhender par la surveillance seule, sans se préoccuper de l’accompagnement nécessaire des populations en question.
Sur la notion d’« inconduite notoire », qui devrait certes être modifiée au dernier moment par un amendement – nous en reparlerons donc –, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) soulignait que « le système judiciaire français se base sur un fait prouvé et non pas sur la prédiction aléatoire d’un comportement futur ». Il faut éviter de tomber dans ce travers. Ainsi, la CNCDH s’inquiète de l’instauration de mesures restrictives de liberté reposant sur un fondement aussi incertain, source inévitable d’arbitraire.
Notre groupe se désole également que rien ne soit fait pour mieux prévenir la radicalisation et accompagner les personnes, notamment les mineurs, qui peuvent la subir. Ainsi, on acte, entre autres mesures, le transfert des mineurs radicalisés vers la protection judiciaire de la jeunesse, en lieu et place de leur prise en charge par l’aide sociale à l’enfance. Pourquoi ne pas soutenir plutôt les départements dans leur prise en charge de ces jeunes ?
Une étude de 2018 de l’Institut français des relations internationales (Ifri) démontrait que la majorité des actes terroristes était perpétrée par des personnes sans antécédents judiciaires. La pauvreté et l’isolement social sont des facteurs propices à la radicalisation. Rien dans ce texte ne vient aborder ces sujets. Aucune solution n’est présente.
Nous regrettons aussi que ce texte qui vise à renforcer la lutte antiterroriste ne contienne aucune proposition en matière de coopération européenne ou internationale, ou de lutte contre le financement du terrorisme et le rôle plus que trouble de certains pays disposant d’une puissance régionale.
Pour toutes ces raisons, notre groupe ne votera pas ce texte. Nous défendrons une dizaine d’amendements.